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mercredi 13 avril 2011

Memoire le 7 Nouvembre 2010 a Paris

Me voici aujourd’hui parmi vous et avec vous, non pour vous relater les événements du bassin minier, ni pour scander les slogans que j’ai répété à vos tribunes, dans toutes les occasions, et qui se sont usés. Non, je suis maintenant parmi vous pour parler de moments que j’ai vécus à un certain moment de ma vie, remplis de sensations et de sentiments que je vais tenter de vous faire comprendre et je voudrais que vous n’ayez jamais à les vivre tant il sont pleins de douleur et d’injustice.

Bien, sans revenir aux raisons du déclenchement du mouvement du bassin minier, -ce mouvement de protestation sociale de Rédeyef dont j’étais l’un des symboles-, mais pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit d’un mouvement social dont les revendications étaient l’emploi, le développement et la répartition juste des richesses du pays, notamment la richesse du phosphate dans les villes du bassin.

Le pouvoir a traité ce mouvement de façon sauvage et sécuritaire, descentes dans les domiciles, arrestations, torture, jusqu’au 6 juin. C’est alors qu’on a tiré à balles réelles sur les manifestants. Des dizaines d’entre eux ont été atteints. Le martyr Hafnaoui Ben Ridha Maghzaoui est tombé, après Hichem Ben Jeddou Alaïmi, puis ce fut le tour d’Abdelkhalek Amidi. Il faut les citer à chaque fois que l’occasion nous est donnée de parler des événements du bassin minier à Redeyef la combattante, la citadelle de la résistance ainsi qu’elle souvent nommée.

Le 1er juillet 2008, j’ai été arrêté avec mon père dans le sud du sahara tunisien alors que nous étions en route pour Tozeur après qu’ait été émis un mandat de recherche, au second jour des épreuves du baccalauréat. J’ai été contraint d’arrêter les examens, comme beaucoup de mes camarades et de mes amis recherchés. La nuit du 23 juin est restée dans ma mémoire. C’est la date à laquelle les forces de police ont fait une descente à la maison et arrêté mon frère Ghassen. Il était deux heures du matin. Il a été tellement frappé qu’il a perdu connaissance et a dû être transporté le matin à l’hôpital régional de Gafsa. De même je n’ai pas oublié les sept jours que j’ai passés au district de police de Gafsa. J’avais des interrogatoires à toute heure du jour, le matin, l’après midi, à l’aube, le soir et le dimanche. L’interrogatoire avait lieu le matin dans l’après midi, à l’aurore ou à minuit. A chaque fois, je dégustais toutes formes de torture, de coups, d’humiliations, tout cela pour me faire avouer des crimes que je n’avais pas commis et incriminer mon père en tant qu’agresseur, comme mes camarades, d’un agent de la sûreté, et comme incendiaire de voitures. Je ne savais pas alors que mon père était dans la cellule voisine, soumis à interrogatoire aussi, et qu’il prenait des coups comme moi et qu’il était humilié, ni qu’il entendait mes cris tant je souffrais. Lorsque je l’ai rencontré à la prison de Mornaguia à la fin du mois d’août 2009, il m’a raconté qu’on l’avait menacé de me violer devant lui s’il s’entêtait à refuser de signer les procès verbaux pré établis qui l’incriminaient et lui faisaient endosser la responsabilité de ce qui s’était passé dans le bassin minier. J’ai passé près d’un mois avec lui. Nous nous rencontrions tous les jours et dialoguions, échangions les informations. C’est alors que j’ai vraiment connu mon père, mon père l’être humain, j’ai compris alors le sens de la liberté, de la justice, de la dignité et du sacrifice en dépit de sa maladie et de l’isolement dans lequel il a vécu pendant ses huit mois à la prison de Kasserine puis à l’hôpital de l’Ariana où il a passé quatre mois ligoté à son lit par une chaîne, privé de journaux et de télévision. Puis il a été transféré à la clinique de la prison de Mornaguia où il a passé quatre mois encore en isolement. Bien qu’il ait perdu trente kilos, il a résisté avec patience comme un palmier, il me répétait que les valeurs de la justice de la liberté et de la dignité sont des valeurs humaines qui méritent qu’on se sacrifie pour elles et que nous n’étions pas les seuls à les défendre, que des amis et des camarades de toutes les contrées du monde s’étaient sacrifiés pour les voir se réaliser et que nous avions l’honneur de faire partie de ces défenseurs. J’ai connu alors le père, l’ami, le camarade et l’être humain, malgré son calvaire et son combat contre la maladie, j’ai reconnu en lui un cœur plein des valeurs universelles et humaines. Il répétait sans cesse : « aucun projet politique n’a de valeur s’il ne défend pas la liberté la démocratie et la justice en tant que valeurs qui n’ont ni sexe, ni couleur, ni patrie ». Il m’a lu alors un poème qu’il avait écrit dans sa solitude pendant les premiers jours de sa garde à vue. Il entendait alors mes hurlements dans la cellule voisine. Combien j’ai alors ressenti comme il avait souffert et été torturé et j’ai saisi ce que pouvait être le sentiment paternel moi qui ne suis pas encore père.

« Tu hurles mon fils. Sois patient. Tes cris résonnent violemment dans mes oreilles, me font frissonner. C’est une blessure profonde qui me fait saigner, rouge, rouge, rouge. Ne hurle pas mon fils, sois patient. Le nuage va arriver à l’horizon, la neige recouvrir les cimes des montagnes brunes et la pluie va tomber. La pluie, la pluie. Ne hurle pas mon fils, le printemps va arriver et nous donner des épis verts. Les vols d’oiseaux vont revenir avec la chaleur et gazouiller. Ne hurle pas mon fils, sois patient. Embrasse les filaments du soleil et résiste. Sculpte la roche avec tes ongles et persévère. Ne négocie pas car l’aube va se lever. Sois patient, mon fils et souviens-toi des paroles de ton grand père. Tes tortionnaires sont esclaves mais toi tu es libre. Tes tortionnaires sont défaits et toi tu as vaincu. Ne hurle pas mon fils. Tu es « Moudhafer », tu es « Moudhafer » ».

Ce n’est qu’un aperçu des épreuves de mon père, les miennes ont commencé à la fin de l’interrogatoire lorsque j’ai été conduit à la prison de Gafsa avec d’autres gardés à vue tandis que mon père avait été transféré à la prison de Kasserine distante de 110 kilomètres de celle de Gafsa. J’ai passé huit mois dans cette prison avant d’être transféré à celle de Sfax où je suis resté un mois et demi, le temps d’être présenté à un tribunal militaire qui m’avait condamné par contumace alors que j’étais en prison pour n’avoir pas fait mon service militaire, condamnation à laquelle j’avais fait opposition. Sans parler de mon passage à la prison de Sidi Bouzid et celle d’El Haouareb. Ensuite on m’a renvoyé à la prison de Gafsa et fin mai 2009 j’ai été transféré au pénitencier de Rjim Maatoug dans le gouvernorat de Kebili, en plein désert, qui sert à sanctionner les étudiants et les prisonniers politiques. Puis j’ai été emmené à la prison de Kebili lorsque Rjim Maatoug a été fermé et conduit ensuite fin août à la prison de Mornaguia pour rendre visite à mon père malade. Mais je suis revenu à la prison de Kebili où je suis resté jusqu’à ma libération.

Si j’ai voulu vous relater mon périple à travers les prisons tunisiennes (Gafsa, Bouzid, Kairouan, Sfax, Rjim Maatoug, Gabès, El Haouareb, Borj El Amri, Mornaguia) c’est pour vous décrire le calvaire de ma mère, Leïla Khaled, qui devait se partager entre les visites à son mari à toutes les étapes de son périple carcéral et les visites qu’elle me rendit dans toutes ces prisons, sans parler de ses visites à ma petite sœur qui faisait ses études à Redeyef et à mon frère qui faisait des études supérieures à Monastir et qui a déménagé en raison des circonstances pour finir ses études à la faculté des sciences de Gafsa. Ainsi il était proche d’elle et pouvait l’aider à affronter la réalité. Imaginez la souffrance d’une mère qui se déplace hebdomadairement entre les régions pour voir les membres de sa famille et qui est amenée à effectuer une distance approchant les mille kilomètres. A chaque fois qu’elle me rendait visite, j’éprouvais de la compassion envers elle et je lui demandais de réserver ses visites à mon père malade et à ma petite sœur qui avaient plus besoin d’elle. Vous l’avez peut-être vue dans le film « Leïla Khaled, la Tunisienne » de l’organisation Amnesty International et de la Ligue mondiale de défense des droits de l’homme.

Je vous ai relaté le ressenti et les épreuves d’un jeune prisonnier, la situation d’une famille dont le père et le fils sont emprisonnés. Ce sont les épreuves que vivent la majorité des prisonniers du bassin minier qui sont pour la plupart des jeunes à l’instar de tous les prisonniers, de jeunes Tunisiens dont les prisons sont remplies et qui ont aimé leur patrie chacune à sa manière et ont aspiré à la liberté, la justice, à la préservation de la dignité, à un monde plus avenant. C’est l’autre visage de la vie de la jeunesse tunisienne et une vérité honteuse du régime et de la police, qui est l’autre face de cette politique folklorique qui fête l’année internationale de la jeunesse.

Si nous ne pouvions vivre en Tunisie, alors, le monde nous était plus avenant, ce monde où nous avons trouvé des amis et des camarades partout. Ils nous ont épaulés et nous ont défendus car notre cause était juste. Aussi je lance un remerciement à toutes les organisations et les associations en Tunisie et à l’étranger qui nous ont soutenus et se sont montrées solidaires. Je citerais notamment la FTCR dont le président, Mohieddine Cherbib, a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour nous avoir simplement soutenus, l’ACAT, dont les adhérents nous envoyé des lettres en prison et à l’extérieur, Luiza Toscane, l’organisation Amnesty International, le comité national de soutien aux populations du bassin minier, Messaoud Romdhani, les partis politiques, les associations et organisations tunisiennes, nos avocats, et le président du CRLDHT

Merci !

Moudhafer labidi intervention le 7 nouvembre a Paris

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